Big data football club
« Au Brésil, sur les pelouses du Mondial, les protège-tibias de la sélection espagnole ne serviront pas seulement à parer les mauvais coups. Ils seront « connectés» et, donc, « intelligents ». Dotées de capteurs, ces plaques de protection permettront d’informer en direct le sélectionneur de la Roja. Vicente del Bosque connaîtra la distance parcourue par chaque membre de son équipe, ou pourra mesurer sa vitesse d’accélération. Cet équipement n’a rien de vraiment inhabituel, car le football moderne se convertit peu à peu au « big data », la collecte massive de données. Au rythme des avancées technologiques, les performances des stars du ballon rond sont désormais scrutées à travers les statistiques.
A l’entraînement, des GPS embarqués entre les omoplates des joueurs trahissent la moindre méforme physique ; lors des matchs, un système de tracking, disposé aux quatre coins du terrain, enregistre leurs déplacements, ainsi que leur position lors de telle passe ratée ou de tel duel remporté. « Cela équivaut à plus de huit millions de chiffres par semaine », décompte Thierry Cotte, le préparateur physique de l’AS Saint-Etienne. Après un match, chaque joueur stéphanois reçoit une fiche truffée de chiffres et de codes couleur qui résume sa prestation. Une sorte de carnet de notes façon « big data ». « Nous pouvons même déterminer les périodes auxquelles, individuellement, nos joueurs sont les plus fragiles, de façon à prévenir les blessures », précise Thierry Cotte. Triées, hiérarchisées, associées, ces données influencent les choix au moment des transferts.
« AU DÉBUT, ON PASSAIT POUR DES EXTRATERRESTRES »
L’invasion du football par les statistiques remonte au milieu des années 1990. A l’époque, outre-Manche, naissent des entreprises comme Prozone et Opta, dites « d’analyse de performances sportives », capables de fournir plus d’un millier de données par rencontre. Arsène Wenger, l’entraîneur d’Arsenal, matheux et titulaire d’un diplôme d’économie de l’université de Strasbourg, est l’un des premiers à s’y convertir. Au moment du départ de Patrick Vieira, lors de la saison 2004-2005, le coach des Gunners part en quête d’un milieu de terrain aussi endurant, capable de courir en moyenne 14 kilomètres par match. En décortiquant les chiffres des différents championnats européens, le technicien alsacien tombe sur un gamin d’à peine 20 ans, presque inconnu. C’est ainsi que Mathieu Flamini sera transféré de Marseille à Londres.
Depuis, tous les clubs de Premier League ont apprivoisé ces méthodes. « Au début, on passait pour des extraterrestres, se souvient Antoine David, fondateur d’Amisco, qui a racheté Prozone en 2011. Après, comme toujours quand elle a du sens, l’innovation prend sa place. » A tel point que les dirigeants anglais enrôlent aujourd’hui des mathématiciens, des statisticiens ou encore d’anciens traders pour exploiter cette profusion de chiffres. A Manchester City, champion d’Angleterre cette saison, un groupe de onze analystes épluchent au quotidien une foule de données qu’ils tentent de valoriser pour améliorer les résultats de l’équipe. Lors du précédent titre des Citizens, en 2012, ces geeks ont passé au crible plus de 400 buts inscrits sur corner, après s’être rendu compte que leur équipe n’avait plus marqué sur cette phase de jeu depuis 22 matchs. Les hommes de l’ombre en concluront qu’il faut tirer le coup de pied de coin en mode « rentrant », au premier poteau, et non pas en mode « sortant » comme le coach, Roberto Mancini, l’exigeait. Résultat : neuf buts inscrits sur corner lors des douze rencontres suivantes…
DES CELLULES RECHERCHE & DÉVELOPPEMENT
En France, où les analystes n’ont pas encore assailli les staffs techniques, seule une petite dizaine de clubs utilise massivement les statistiques, parmi lesquels Saint-Etienne, les Olympique Lyonnais et de Marseille, le PSG ou Lille, qui a même ouvert en 2009 une cellule Recherche & Développement composée de sept personnes. En moyenne, les formations dépensent de 50 000 à 300 000 euros par saison pour l’ensemble du matériel nécessaire à la collecte de données. Un investissement indispensable, si l’on en croit Damien Comolli, l’ancien directeur sportif de Liverpool. « Les statistiques viennent valider ou invalider des décisions, analyse celui à qui l’on doit les découvertes de Luka Modric ou Gareth Bale. Elles jouent un rôle complémentaire, doivent permettre de s’émanciper de l’émotionnel. »
Dans les tribunes du Parc des Princes, le public s’agace souvent de voir le PSG version qatarie tenter si peu de frappes de loin, un geste spectaculaire, apprécié des spectateurs. Une frustration dont les chiffres sont peut-être responsables. Les études indiquent que seulement 2 % des tirs hors de la surface de réparation achèvent leur course au fond des filets. »
M, le magazine du Monde
Par Franck Berteau
Source : lemonde.fr