Mathématiques françaises : une excellence à préserver
Le congrès international des mathématiciens (ICM) qui se tient à Séoul est l’occasion de décerner les médailles Fields, équivalent du prix Nobel, à des mathématiciens âgés de moins de 40 ans. Parmi les lauréats 2014, Artur Avila, chercheur franco-brésilien, directeur de recherche du CNRS à l’université Paris Diderot, est récompensé pour ses travaux sur les opérateurs de Schrödinger quasi-périodiques. Une récompense qui confirme l’excellence de l’école française de mathématiques et son rayonnement international.
Depuis 1936, date de la création du Congrès, la France avec 12 médailles occupe le 2ème rang mondial après les États-Unis. Sur les seules dix dernières années, avec huit lauréats, elle est leader mondial de la discipline. Elle est devenue une terre d’accueil privilégiée pour les mathématiciens du monde entier. Plusieurs médaillés français possèdent la double nationalité : franco-russe pour Maxime Kontsevitch (2006), franco-vietnamienne pour Ngô Bao Chaû (2010) et franco-brésilienne pour Artur Avila (2014). Témoins de la vitalité des mathématiques françaises, ces résultats sont d’autant plus remarquables qu’ils s’inscrivent dans un contexte international de plus en plus concurrentiel. Ils résultent d’un travail de très longue haleine de structuration de la communauté mathématique française.
Au-delà de la médaille française, ce congrès 2014 est historique puisqu’il récompense pour la première fois une femme, Maryam Mirzakhani, mathématicienne iranienne, professeure à Stanford. Cela vient confirmer la tendance observée dans les précédentes éditions d’une plus grande présence des femmes parmi les conférenciers invités. Du côté français, la montée en puissance de nos mathématiciennes est déjà notable. En 2012, le prix international Henri Poincaré, créé en 1997 et qui récompense tous les trois ans des scientifiques éminents pour l’ensemble de leurs travaux en physique mathématique, a été décerné à deux françaises : Nalini Anantharaman et Sylvia Serfaty. Jamais aucune femme n’en avait été récipiendaire. Si on peut se réjouir de ces récompenses, il est cependant inquiétant de constater qu’en France le nombre de femmes recrutées en mathématiques fondamentales a diminué au cours des dernières années et que les filles sont peu présentes dans les filières scientifiques notamment au sein des grandes écoles.
La recherche mathématique doit aussi être appréciée comme un formidable potentiel d’innovation pour notre pays. Les applications des mathématiques n’ont jamais autant bouleversé le monde que ces dernières années : réseaux informatiques, big data, systèmes embarqués, web… les maths sont partout, et les innovations de rupture issues de travaux fondamentaux continueront à modifier nos usages de façon souvent inattendue. En 2006, l’ICM a créé le prix Carl Friedrich Gauss pour récompenser les contributions remarquables débouchant sur des applications significatives en dehors du champ des mathématiques.
En 2010, ce prix a été remis à Yves Meyer, professeur émérite à l’Ecole normale supérieure de Cachan et membre de l’Académie des Sciences pour ses travaux sur les ondelettes, qui ont révolutionné le traitement du signal utilisé notamment dans le traitement de l’image et de la vidéo. Pour ce mathématicien « l’avenir des mathématiques réside dans une sorte de respiration avec toutes les sciences et toutes les technologies » et il donne l’exemple de l’apport des mathématiques dans le domaine des neurosciences où pour lui « la compréhension du cerveau progresse et progressera grâce à la modélisation mathématique, seule à même d’envisager et de structurer des mécanismes dont la description détaillée est strictement impossible »
Ces prix et médailles sont autant de témoignages de cette excellence mathématique française. Mais il nous faut rester collectivement vigilants car cette situation favorable est loin d’être assurée pour le futur. Pour continuer d’attirer des étudiants de très haut niveau, il faut que nous puissions leur assurer une carrière professionnelle à un moment où le financement public de la recherche en France reste très en deçà de celui de nos partenaires européens, des Etats-Unis et de certains pays émergents. Les mathématiques doivent également faire valoir leur potentiel d’innovation au profit de l’industrie et de l’entreprise et attirer ainsi des étudiants et des chercheurs de haut potentiel tentés par les mathématiques plus appliquées.
Développer l’attractivité française de la discipline, susciter des vocations auprès des plus jeunes, mettre cette excellence au service de l’innovation, renforcer la place des femmes, sont autant de défis qu’il faudra relever pour continuer à faire de la France, une des championnes mondiales des mathématiques.
Par Christine Clerici ( Présidente de l’université Paris Diderot) et Alain Fuchs ( Président du CNRS)
Source : lemonde.fr