Alors que se termine cette semaine le 23e Sommet de l’Union africaine, il me paraît important de partager quelques messages et pistes de réflexion et d’action évoquées tout récemment à Libreville, au Gabon, à l’occasion de la 3e édition du New York Forum Africa, qui a rassemblé cette année plus de 1.600 participants dont 600 jeunes de moins de 26 ans. La « marque » Afrique souffre encore d’un fort déficit d’image. Cette perception a été confirmée par une récente étude du cabinet McKinsey, réalisée auprès de 1.500 dirigeants. La jeunesse africaine expatriée et locale, bien qu’optimiste sur son avenir, doute aussi des efforts accomplis par les Etats pour l’intégrer pleinement à la croissance.
Or l’Afrique perçue n’est pas l’Afrique réelle. Elle bénéficie de fondamentaux économiques solides. En dix ans, elle a doublé son PIB, en moins de temps qu’il n’en a fallu à la Chine. Le PIB par habitant africain est aujourd’hui supérieur à celui de l’Inde, qui compte davantage de populations pauvres. En 2013, l’Afrique a attiré 52 milliards de dollars d’investissements étrangers selon le rapport d’Ernst & Young sur l’attractivité du continent. IFC, membre du groupe de la Banque mondiale et important investisseur américain, est passé de 140 millions d’investissement par an en 2003 à 5,3 milliards en 2013, un montant qui se rapproche de celui de l’Amérique latine (un peu plus de 6 milliards). L’Afrique a opéré un rattrapage économique, grâce aux activités extractives qui ont généré un tiers de la croissance du continent. Cependant, ces activités ont surtout créé de la valeur financière et non de la valeur économique productrice d’emplois industriels locaux. Selon le cabinet McKinsey, le taux de croissance des emplois stables n’a pas dépassé 0,5 % de moyenne annuelle, à comparer à un taux de croissance moyen annuel de 5,5 % de l’économie. En 2003, ils représentaient 70 millions. En 2014, ils ne sont que de 110 à 120 millions.
Les Etats les plus moteurs – Ghana, Angola, Mozambique, Maroc, Ethiopie, Rwanda, Gabon – ont bien compris que la croissance africaine devait être à la fois inclusive, diversifiée et compétitive. L’Afrique veut passer d’un développement producteur de croissance à une économie productrice d’emplois. Les Etats cherchent à fonder leur développement sur la construction d’avantages concurrentiels durables produits dans le cadre d’une industrialisation locale. Ainsi, le Gabon, 4e producteur mondial de manganèse, s’est donné pour objectif d’exploiter et de transformer lui-même 35 % de son minerai d’ici à 2025. Les multinationales extractives devront désormais compter avec les sociétés nationales qui veulent attirer des fonds localement. On peut aussi évoquer le potentiel d’exploitation agricole des vastes terres, celui des énergies renouvelables qui ne dépasse pas les 5 %, ou encore la réappropriation des « big data » africains monétisés par les géants étrangers du Net. Pour faciliter l’industrialisation, les Etats mettent en place des fonds souverains pour dégager des capacités de co-investissement dans les infrastructures, en PPP. Ils stimulent ainsi l’émergence d’un tissu local d’investisseurs privés. Les flux commerciaux et financiers intra-africains, qui ne cessent d’augmenter en valeur et en volume, sont le prélude à une dynamique d’intégration régionale, favorable au financement de grands projets et à l’industrialisation du continent.
L’Afrique ne veut plus qu’on la regarde de haut. C’est d’égal à égal qu’elle invite la communauté économique et financière internationale à participer à sa croissance. Avec la création d’un fonds doté à terme de 500 millions de dollars, pour financer des projets dans le domaine des médias, Youssou N’Dour et moi-même l’avons invitée à se donner les moyens de parler de sa propre voix.
Par Richard Attias Président de Richard Attias & Associates et fondateur du New York Forum Africa.
Source : lesechos.fr