Big Data, troisième étape de la révolution de l’information
La « datamasse » sera dans la révolution de l’information ce que fut l’usine imaginée par Henry Ford lors de la deuxième révolution industrielle : un changement radical des modes de production.
Chaque jour, des millions de millions de millions de données sont créées. Les Anglo-Saxons ont attribué une appellation simple à ces montagnes, ou plutôt ces énormes nuages d’informations : Big Data. Mais il est compliqué de comprendre ce que cette « datamasse », comme on dit parfois en français, va changer dès lors qu’on sait l’exploiter – et on sait de plus en plus le faire. Car l’émergence du Big Data est en réalité la troisième phase de la révolution de l’information, sans doute la plus profonde et certainement la plus ouverte. Pour pressentir l’ampleur des mutations à venir, l’exploration du passé peut donner de précieux repères.
Car ce n’est pas la première fois que le monde connaît une révolution industrielle. La première débute au XVIIIe siècle avec la machine à vapeur qui permet la mécanisation de la production, appliquée par exemple au métier à tisser. La deuxième commence dans la seconde moitié du XIXe siècle avec l’avènement des énergies souples, électricité et pétrole, qui font tourner des moteurs. La troisième débute au milieu du XXe siècle, avec les premiers pas de l’informatique. Ces deux dernières ruptures sont finalement assez proches – non dans leur contenu mais dans leurs vagues successives.
Le point de départ de la deuxième révolution industrielle n’est pas le moteur. Il s’agit de… la lumière. Les Américains commencent à extraire massivement l’or noir quand un Rockefeller apprit, lors d’un voyage en Pologne dans les années 1850, à le raffiner en pétrole lampant. Ce carburant prend le relais de l’huile de baleine, dont les ressources mondiales commençaient alors à s’épuiser. De même, Américains et Européens tirent des lignes électriques à partir du moment où Thomas Edison a fabriqué la première ampoule électrique, avec un filament en coton carbonisé, en 1879. Le but premier, c’est de s’éclairer, de trouver une nouvelle réponse à l’une des plus anciennes quêtes de l’humanité.
C’est la même logique qui est à l’oeuvre dans les premiers ordinateurs : moderniser une activité ancienne. En l’occurrence, il s’agissait de calculer. La machine souvent considérée comme le premier ordinateur, l’Eniac – entrée en fonctionnement en 1946 -, avait été construite à la demande de l’armée américaine pour faire des calculs de balistique. IBM avait développé ses machines pour aider l’administration américaine à tenir ses registres de Sécurité sociale. Les ordinateurs seront ensuite utilisés pour les vols de la Nasa, mais aussi et surtout pour les tâches complexes et répétitives des entreprises, comme l’organisation de la paie des salariés.
La deuxième phase de la révolution du XIXe siècle est d’une nature différente. Elle débouche sur une offre nouvelle qui va changer la vie (et la ville), comme l’automobile et l’ascenseur. Dans l’effervescence technique de l’époque, les chercheurs avaient multiplié les tentatives pour faire hisser les hommes dans des maisons. Le premier ascenseur électrique, fabriqué en 1880 par un certain Werner von Siemens, donna de loin la meilleure solution. Dès 1889, un immeuble new-yorkais en est équipé. Les villes américaines comme New York et Chicago pousseront en hauteur, bien différemment du Paris haussmannien bâti deux décennies plus tôt. L’automobile chamboulera aussi la ville dans l’autre sens, l’horizontal, en lançant l’essor de la banlieue pavillonnaire.
Une offre nouvelle qui change la vie : cette définition s’applique parfaitement à Internet, le deuxième temps de la révolution de l’information. Des chercheurs ont élaboré le réseau des réseaux électroniques à la fin des années 1960. Il a d’abord servi à faire circuler des informations scientifiques, dans un milieu très restreint. Il est devenu grand public dans les années 1990, quand des opérateurs ont proposé des services d’accès. L’entrée triomphale en Bourse du navigateur Netscape en 1995 est souvent retenue comme la date symbolique de ce nouveau monde. Avec ces nouvelles infrastructures, des entreprises comme Amazon, Facebook ou Apple avec son iTunes créent des services qui n’existaient pas auparavant, bousculant des secteurs comme l’industrie de la musique, celle des médias, le commerce – tout comme l’avait fait l’automobile avec les transports un siècle plus tôt. […]
Lire l’intégralité de l’article
Par Jean-Marc Vittori
Editorialiste aux « Echos »
Source : lesechos.fr