[lexpress.fr] Le Big Data, aux frontières entre collecte de données et intrusion dans la vie privée

Le Big Data, aux frontières entre collecte de données et intrusion dans la vie privée

‘On pensait l’exigence croissante de personnalisation incompatible avec les impératifs de la consommation de masse. Mais l’utilisation de plus en plus fine des outils d’analyse des bases de données prouve qu’il n’en est rien.’

« Si votre question est technique, tapez 1, si elle n’est pas technique tapez 2″… Et bien sûr « faites étoile » si vous êtes perdu. Grâce aux outils d’exploitation du Big Data, ces masses de données accumulées sur le client, les centres d’appels peuvent désormais épargner aux consommateurs ce type de refrain. L’opérateur mobile Turkcell a tenté le pari de la reconnaissance vocale: ses clients le joignent désormais en disant simplement dans leur combiné « Turkcell me reconnaît à ma voix ».

Plus besoin de donner (deux ou trois fois) un numéro de client qu’on n’a évidemment pas sous la main, plus besoin d’indiquer le nom (de jeune fille) de sa mère, ni même… le sien: en un an, 7,3 millions sur les 35,2 millions d’abonnés que compte l’opérateur ont enregistré leur empreinte vocale. Les téléconseillers utilisent le temps ainsi gagné à appeler des clients sur le point de se désengager, et l’investissement nécessaire a été remboursé deux fois plus vite que prévu.

La technologie permettant cette reconnaissance est fournie par Nuance, une société qui travaille également avec Apple. Comment Nuance parvient-il à déterminer avec une telle précision l’identité d’une personne? En enregistrant chacune des communications de leurs utilisateurs, quel que soit le média. Et en les comparant non seulement avec l’historique des usagers, mais aussi avec des millions d’enregistrements d’autres humains. Une stratégie au coeur des meilleurs exemples d’utilisation du Big Data. Ainsi, Amazon, dont le système de recommandation combine l’historique des achats et les consultations du client avec l’analyse des comportements des autres internautes présentant des profils comparables, est devenu un modèle du genre.

E-commerce: choisir le canal de communication le plus adapté… et le plus rentable

Les ressources du Big Data sont ainsi largement utilisées par les e-commerçants pour adapter l’expérience client aux besoins des internautes… mais aussi à leurs impératifs économiques.

Il faut ainsi savoir qu’une fenêtre de tchat en direct ne s’ouvre désormais jamais innocemment.Lorsqu’un client procède sur voyages-sncf.com à une recherche de séjour pour trois personnes dans un cinq étoiles à Miami, tout compris, le site est capable de détecter le moment où le curseur de sa souris se dirigera vers le bouton « retour » de son navigateur pour faire apparaître une fenêtre lui proposant un tchat.

Si le client s’est enregistré et que son historique d’achats indique plusieurs transactions conséquentes, ce sera un dialogue audio qui sera proposé. Mais, s’il s’agit d’un internaute voulant acheter un billet Paris-Deauville avec une carte 12-25 ans, seule une assistance virtuelle sera suggérée. Lorsque le bénéfice par commande est moindre pour l’entreprise, l’investissement consenti sera moins conséquent…
Boutiques: un moyen de personnalisation

Dans un contexte de baisse de fréquentation des magasins au profit du Web, le Big Data offre aussi de bonnes raisons aux clients de se déplacer. Chez Yves Rocher, toutes les campagnes d’envois de courriels procèdent de l’analyse des achats en boutique et en ligne. Le croisement des informations recueillies sur les différents canaux permet d’aborder chaque client comme s’il était unique.

Le couplage des données d’achats permet des opérations de personnalisation particulièrement abouties: aux Etats-Unis, le distributeur Kroger a mis en place des campagnes d’envois massifs de douze coupons de réduction sélectionnés spécifiquement en fonction des habitudes de consommation. Ainsi, un acheteur régulier d’aliments pour bébé qui n’aurait récemment pas acquis de couches recevra des coupons relatifs à ces produits. Au final, 71% des coupons distribués lors de cette opération ont été utilisés par les ménages dans leur magasin habituel, générant ainsi 10 milliards de dollars de revenus pour le distributeur.

Les possibilités offertes par le Big Data paraissent sans limite. Mais le client doit-il vraiment savoir tout ce qu’on sait de lui? L’expérience de l’enseigne de distribution américaine Target pousse à réfléchir. Un père de famille, très énervé, est ainsi allé trouver le directeur d’un supermarché de la chaîne des environs de Minneapolis, muni de plusieurs bons de réductions pour des produits destinés aux futures mamans ­ berceaux, vêtements pour bébé ­ nominativement adressés à sa fille, âgée de 17 ans.

Quelques jours plus tard, un peu gêné, il est venu s’excuser. Sa fille lui ayant avoué « avoir exercé, à son domicile, des activités dont il n’avait pas été pleinement informé ». Se basant sur une liste de vingt-cinq produits que les femmes enceintes sont le plus susceptibles d’acheter, jusqu’à pouvoir développer un « score de prévisibilité de grossesse », Target savait, à quelques jours près, à quel stade de sa grossesse la jeune fille se trouvait. Avant même que son père ne s’en rende compte. Et comme Target avait repéré que la demoiselle faisait ses courses le week-end au magasin plutôt qu’en ligne, les bons lui avaient été envoyés par la poste. La seule chose que le magasin n’avait pas prévue, c’est que ce ne serait pas elle qui relèverait le courrier.

Comment orienter le client vers le téléconseiller idéal

Le Big Data offre d’autres techniques que la reconnaissance vocale pour faciliter la vie des consommateurs. Il est aujourd’hui possible de faire en sorte qu’un client mécontent soit accueilli par un agent spécialisé dans la gestion de situations conflictuelles, qu’un client fidèle et enclin à adopter de nouvelles offres soit reçu par le meilleur commercial, et qu’un mauvais payeur soit pris en charge par un téléconseiller expérimenté. Et ce, sans que le client ait à naviguer dans la jungle des options d’un serveur vocal. Car les centres d’appels « épient » tout: qui téléphone, pourquoi, quand, à quelle fréquence, dans quel état d’esprit, comment se comportent les téléconseillers et quels sont leurs indicateurs de performance relationnelle ou commerciale.

La vraie nouveauté, c’est qu’il est désormais possible d’exploiter ces données, avec des solutions comme XICO, proposée par Xerox- ­ la marque connue pour ses imprimantes traite chaque jour 1,6 million d’appels dans ses 160 centres de contact dans le monde.

Par Charles-Jenri Fondras
Source : l’express

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